La légende la Ville d’Is, récits et représentations de la disparition des mondes coupables.
Située à la pointe ouest de la Bretagne, la légendaire ville d’Is aurait été engloutie à l’aube du haut-moyen âge. Gouvernée par le roi Grallon, la ville est le théâtre d’une lutte implacable entre Dahud, la fille du souverain fidèle aux Dieux de la nature et du monde ancien et Saint Guénolé qui tente de perpétrer la parole du Christ. Tentée par le diable, la fille du roi accepte par défi d’ouvrir les écluses qui protègent la ville. La catastrophe, punition divine, ne tarde pas. La ville est submergée par les assauts de la mer. Le roi tente de sauver sa fille, mais Saint Gwenole désarçonne la pècheresse qui disparait dans les flots.
Le cataclysme, dit-on, eut lieu au Vème siècle. Mais c’est seulement au IXème siècle, sous la plume du chroniqueur Gurdisten, qu’apparaissent pour la première fois le nom de Ker ls et celui du Roi Grallon, mais ne figurent ni saint Guénolé, ni Dahud. Le récit est-il inspiré de faits réels ou purement imaginaire ? Elle est la mémoire collective. La légende de la ville engloutie ne cesse de s’enrichir au cours des siècles, chaque menace de transformation de la société la réactive, la remet à l’ordre du jour. Le chanoine Moreau, à la fin du règne d’Henri IV, Ernest Renan et Anatole Le Braz au XIXème siècle, sans oublier nombre de nos contemporains tels Claude Dervenn, Jean Guéhenno, Georges Bordonove, Michel le Bris ou Xaviel Grall ne sont pas restés insensibles à cette « grande affaire » ni indifférents aux cloches qui continuent de tinter au fond de la mer, et peut-être aussi au fond de la mémoire atavique de chaque Breton : « Atlantide de l’âme, Ile des Printemps morts »…
La Ville d’Is n’est pas qu’une affaire littéraire : dessins ou estampes ornent les livres et les journaux. On y voit généralement la dernière chevauchée de Grallon et la fin tragique de Dahud, parfois l’accent est mis sur la ville avec des temples antiques sur fond de châteaux forts, encadrés de cathédrales gothiques. La ville est sur les faïences de Quimper, le vitrail de l’église de Kerlaz, le célèbre tableau de le Luminais, les décors pour l’opéra de Lalo, et les planches de diplôme de l’architecte Jean Braunwald et bien entendu les dessins qui illustrent les recueils de légendes sans oublier la bande dessinée.
Le récit de la ville d’Is est également dans l’espace public, on trouve Grallon entre les flèches de la cathédrale de Quimper, au-dessus de l’église d’Argol, sur les médaillons de la chaire de Locronan. La difficulté de la lecture des sculptures bretonnes est que bien souvent la christianisation a changé les noms des personnages, sans les supprimer complètement. Peut-être Grallon se cachera-t-il sous les traits d’un Joseph et Dahud sous ceux d’une Marie-Madeleine.
La légende est un bassin, en nous approchant, nous y voyons notre reflet, puis nous y puisons notre inspiration en nous abreuvant de ces récits. « J’ai vu la blanche jeune fille de la mer, je l’ai même entendue chanter : ses chants étaient plaintifs comme les flots. » Hersart de la Villemarqué, Barzaz Breiz.