Si vous passez du côté de Plouharnel, faites un petit crochet par le village de Crucuno. Après quelques minutes d’une route serpentant dans les prés, vous tomberez sur le monumental dolmen qui n’est que le vestige d’un ensemble beaucoup plus long !
Il faut poursuivre sur un petit chemin. La marche permet la découverte progressive. Les pierres les plus hautes émergent des haies. A droite et à droite encore, voici le quadrilatère de Crucuno. On en fait un lieu exceptionnel, les menhirs seraient disposés suivant la course solaire des solstices d’été et d’hiver.
De retour, une recherche bibliographique montrera qu’en effet, le quadrilatère de Crucuno occupe une place importante dans les ouvrages consacrés au mégalithisme, que ce soit en France ou en Angleterre, ce serait notre Stonehenge.
Cet ensemble de 22 menhirs a été restauré et fait classer Monument Historique en 1887 par Félix Gaillard. Ce dernier précise que seules 9 des stèles étaient encore debout, mais qu’il redresse l’ensemble avec beaucoup de précision.
Félix Gaillard est passionné d’archéologie, il enregistre, consigne et surtout photographie. La photo est pour lui, la constitution de la preuve incontestable de l’état des sites qu’il étudie. Et Gaillard s’interroge sur l’usage des dolmens, des menhirs, des alignements.
Pas convaincu qu’il s’agisse de monuments religieux, il publie en 1897, un ouvrage qui fera date : « l’astronomie préhistorique ». Utilisant ses relevés et observations, il propose l’idée de l’alignement des monuments mégalithiques sur les phénomènes célestes, certains pouvant même servir à déterminer les solstices comme à Crucuno.
L’idée n’est pas isolée et quelques années plus tard en Angleterre, le célèbre astronome, inventeur de l’Hélium et fondateur de la revue Nature, Norman Lockier, publie en 1906, une série d’hypothèses sur les alignements solaires et lunaires de Stonehenge, hypothèses qui sont nourries jusqu’à aujourd’hui !
En Bretagne, le Capitaine de Frégate Alfred Devoir met sa science de l’observation des astres pour la navigation, au service des mégalithes. Il publie des démonstrations et débat activement au sein de la Société Préhistorique Française.
Le médecin vendéen Marcel Baudouin, qui lui aussi constate une série d’orientations privilégiées. Mais à vrai dire, son éventail est très large ; il pense également voir dans l’organisation des cupules des cartes stellaires. En ce début de XXème siècle, le sujet est très vivant.
Mais qu’est-ce que le solstice, de quoi parle-t-on ? La terre ne tourne pas autour du soleil comme une sphère toute droite, l’axe des pôles légèrement basculé : c’est l‘obliquité. Le plan horizontal qui décrit la rotation de la terre autour du soleil est le plan de l’écliptique. Selon la position de la terre par rapport au soleil, les rayons venant frapper la terre seront à midi très verticaux, ce sera alors l’été ou très horizontaux, ce sera alors l’hiver.
Au solstice d’hiver, le jour est le plus court de l’année, connaitre ce jour c’est savoir que les jours meilleurs arrivent, c’est la raison pour laquelle, tant de fêtes très anciennes ont lieu ce jour-là. On peut raisonnablement imaginer qu’il y a 6000 ans, alors que la société était assez organisée pour ériger des architectures monumentales, cette date pouvait avoir une certaine importance.
Mais peut-on en trouver une forme de preuve dans les sites que nous pouvons encore étudier. Au Royaume-Uni Stonehenge serait un vaste observatoire
Et Newgrange serait idéalement disposé au Solstice.
En Allemagne, le site de Goseck, découvert en 2003, semble abonder le sujet…
Mais en Bretagne …?
Certains d’entre eux en ont la réputation. Si vous ouvrez la porte de la Table des Marchands le 21 décembre alors que le soleil se lève, vous verrez le rayon lumineux se glisser jusqu’à la célèbre stèle de la chambre.
Il en est de même pour Gavrinis.
Gavrinis est surtout connu pour ses gravures couvrant sur pratiquement toute leur surface, 22 des 24 stèles qui composent le couloir et la chambre.
L’observation montre qu’en effet ici aussi, au solstice d’hiver, les rayons solaires viennent toucher les stèles de la chambre et la simulation numérique arrive à montrer que cela était le cas également au moment de la construction du monument, corrections faites des positions relatives de la terre et du soleil.
Et qu’en est-il pour Crucuno alors ?
Au début des années 70, l’ingénieur écossais Alexander Thom, vient une première fois à Crucuno pour en faire le relevé précis. Thom arpente les sites mégalithiques depuis les années 30, ses relevés sont précis.
A Crucuno, Thom mesure que non seulement le quadrilatère est bien orienté selon les solstices, comme l’indiquait Gaillard, mais qu’en plus, il possède les proportions du triangle pythagorien. C’est que Thom est convaincu, en plus des hypothèses des alignements solaires, que les ensembles mégalithiques sont conçus sur une unité commune à tous, le Yard mégalithique. Mais ceci est une autre histoire.
Les relevés de Thom vont relancer la notoriété de Crucuno et le quadrilatère va être régulièrement évoqué pour argumenter les hypothèses d’une astronomie préhistorique, dans un domaine scientifique qui se constitue : l’archéoastronomie, ou l’ethnoastronomie.
Un nouveau relevé fait sur place avec les techniques de la lasergrammetrie et de la photogrammétrie a tout d’abord validé le dessin de Thom.
La simulation solaire a ensuite nuancé les résultats en les validant globalement. Mais le site avait-il réellement cette configuration avant la restauration de gaillard ?
Des plans de Lukis montrent une disposition assez différente et le croquis de Vicas ne laisse pas entrevoir un rectangle pythagoricien. Alors ? Il y a-t-il erreur d’interprétation ?
Déjà au début du XXème siècle, Gaillard ou Baudouin indiquaient un spectre d’orientation des sites assez large. Thom a été critiqué sur ce point par l’astronome Ruggles à propos de la détermination statistique des alignements. En Bretagne, L’Helgouac’h et Cassen ont également discuté la question des orientations. L’éventail caractérisant l’ensemble des sites semble très large et surtout, les effets des restaurations ont parfois modifié les configurations comme c’est le cas à Carnac par exemple.
Alors? Hypothèse stérile? En 1972, Thom est retourné à Crucuno pour rechercher des guidons de visée plus loin dans le paysage, son hypothèse étant qu’on ne peut comprendre les sites qu’en saisissant ce qui peut être vu depuis ce point déterminé. Il rejoint en cela, les hypothèses de Gaillard.
N’est pas là finalement la définition de ce qu’est un paysage? La combinaison d’un lieu, d’un moment et d’une direction de regard ?
Le paysage peut être un spectacle et la représentation du dernier soleil d’hiver est inoubliable. Gavrinis, la Table des Marchands, Crucuno est bien d’autres sites encore sont des scènes extraordinaires et l’émotion que nous pouvons connaitre au levé du solstice a probablement été identique il y a 6000 ans.
©Laurent Lescop tous droits réservés.
La présentation est diffusée dans le Naexus 2.0, aout 2015 à Carnac à la chapelle de la Congrégation.
Film réalisé par Yann le Gallic pour YLG prod.